Je travaille dans une bibliothèque patrimoniale, mon approche du numérique se fait donc au travers de ce prisme.
Mes compétences se construisent au gré des missions et des projets sur lesquels je suis amené à travailler (dans un service numérique du patrimoine) et bien sûr par le biais de projets personnels et d’une grosse part d’auto-formation.

Inventer son profil de poste ?

Ma formation en bibliothèque ne m’a pas préparé au métier que j’exerce aujourd’hui, le socle est bon, acquis par l’expérience, les stages et au contact des collègues (BU puis BM, avec une spécialisation en histoire du livre, dans la valorisation patrimoniale au travers d’expositions ou de publications, etc…) mais pour la partie numérique, j’ai été très souvent livré à moi même. Le paradigme change, on ne recycle pas ni ne transpose ce que l’on savait faire “avant”, presque tout est à ré-apprendre.

Le problème du recrutement

Les fiches de postes telles que : “chargé de numérisation”, “responsable de la bibliothèque numérique”, avec une vague liste de compétences (souvent peu en adéquation avec le besoin réel) cachent une réalité bien différente.
Car dans les faits on constate que notre travail échappe souvent à la compréhension de nos collègues voire de notre hiérarchie. Nos DSI sont généralement – malheureusement – plus un frein qu’une aide, car évidemment elles aussi souffrent d’un décalage entre leurs missions/moyens et les nouveaux besoins des collectivités (il n’y a qu’à évoquer la dématérialisation des archives publiques pour s’en convaincre…).

Comment dès lors mener à bien nos missions dans ce contexte où trop souvent mésestimation des enjeux et manque de moyens sont les premiers écueils ? Il faut numériser, mettre en ligne des contenus interopérable, pouvoir encoder en EAD, en TEI, demander du XML Alto et du XML Mets aux prestataires, mais comment se former, quels outils doit-on – voire est-on autorisé – à utiliser, a-t-on même les moyens financiers de ces ambitions ?

À toutes ces questions, chacun répond à la mesure de ses moyens (ou de ceux qu’on lui donne), je ne prétends ici pas y faire exception.

Alors quelle(s) formation(s) ?

Pour ma part, je l’ai dit et c’est le cas pour d’autres, je n’ai de formation ni d’informaticien, ni de développeur. Mon domaine, c’est l’histoire des techniques du livre, assez loin – encore que très utile – de ce qui occupe désormais l’essentiel de mon temps. J’irai d’ailleurs jusqu’à penser qu’à un informaticien de formation il manquera souvent ces connaissances de terrain (qu’il finira peut-être par acquérir si il a l’occasion ou la volonté/possibilité de se former). À défaut d’un bon relais, elles restent à mon sens nécessaires, pour contextualiser les projets et bien comprendre et transposer les besoins des bibliothécaires1.

Mon approche des techniques numériques est donc vous l’avez compris, forcément subjective, lacunaire et empirique puisque l’auto-formation et la “bidouille” y ont une très large part – je progresse par “essais/erreurs”.
Est-ce un problème ? Pas forcément (taille de la structure, ambitions, etc.), car il n’est pas (toujours) nécessaire de devenir spécialiste de PHP, python, etc. Mais il est impératif d’en savoir assez pour – face à un besoin ou à une mission à exécuter – aller vers la solution la plus adaptée (par rapport à mes moyens techniques et intellectuels et avec le meilleur ratio temps passé / résultats obtenus). En savoir assez c’est aussi être en mesure de proposer de nouveaux usages et de pouvoir passer des commandes précises à des prestataires tout en étant capable de défendre ses choix.

Veille et autodidactie sont nécessaires, faute de suffisamment de formations accessibles et efficientes2 qui permettraient de faire face aux besoins de ce métier qui reste encore largement à inventer, en particulier dans les bibliothèques des collectivités territoriales3.

Heureusement de plus en plus de formations pointues apparaissent, certes il faut aller les chercher, et pouvoir y accéder.

Évolution et prise de conscience

En effet il existe depuis quelques années des formations pour répondre en partie à ces besoins, les masters en “techniques numériques appliquées à l’histoire”, ou en “humanités numériques”, à l’École des Chartes4, au CESR de Tours, à Lyon 2, etc.
Mais l’entrée en bibliothèque se fait (encore) par concours et les concours territoriaux n’ont manifestement pas la cote auprès de ces étudiants. À l’obtention de leurs diplômes ils se dirigent tout naturellement vers des postes d’ingénieur d’étude ou les concours de conservateur et bibliothécaire d’état, pour travailler en bibliothèque universitaire (puisque c’est souvent là qu’ils ont fait leurs stages !). Certains optent pour le privé ou montent leur agence de conseil.

On ne peut que déplorer que ces métiers soient encore trop cantonnés à l’université. Je suppose que c’est en partie faute d’ambition dans les collectivités (on ne propose pas assez de stages techniques, et surtout on ne recrute pas de spécialistes).
Des programmes comme les Bibliothèques Numériques de Référence aident les bibliothèques à prendre conscience de leur retard et peuvent donner les moyens de développer et consolider des projets ambitieux (entendons par là pérennes, avec plan de formation et matériel).
Mais c’est encore à la marge, l’incitation et les aides ne sont pas assez fortes au niveau local, la prise en compte de l’enjeu encore trop rare.
Nous verrons bien comment les choses évolueront…



  1. L’idéal restant évidemment, si les conditions sont réunies d’avoir à ce poste ou comme soutient un développeur (par conditions réunies j’entends accès aux serveurs et des relation privilégiées avec la DSIT). 

  2. j’entends une formation dont on sort en sachant réellement faire quelque chose, ou bien dont on sort en ayant envie de creuser un domaine, et c’est rare. Les collectivités n’ont pas toujours la volonté de payer des formations hors catalogue, pourtant souvent les plus pertinentes. 

  3. Voir à ce propos une enquête de 2015, l’enquête Hubic (humanités digitales et bibliothèques, des compétences à identifier), qui illustre bien les besoins et la façon dont ils commencent à être perçus par les professionnels, noter que nous sommes là dans le milieu universitaire, en bibliothèque publique la prise de conscience sera encore longue. lire l’enquête 

  4. Où j’ai entamé une VAE, car c’est aussi un moyen de faire reconnaître (voire de faire valoir) des compétences acquises au fil du temps au sein de notre collectivité.